mercredi 28 juin 2006

[BHM/Orkh-Wrag] L'emeute de Swampil

Cette histoire aurait pu commencer avec l’ouverture de 1812, si Tchaikovsky avait existé en ce monde. Cependant seules les notes et mélodies étaient manquantes, les autres partitions étaient bien présentes en cette nuit dans la cité de Swampil. Les cloches sonnaient à tout va, des cris comme autant de choeurs s’élevaient aux quatre coins de la ville, incendies, explosions et canonnades illuminaient les rues, rendant l’astre nocturne obsolète. Quant à l’apogée, c’était celui de la haine, du raciste ordinaire porté jusqu’au point d’ébullition.

Comment tout cela avait-il débuté ? Personne ne devait vraiment le savoir et personne ne devait vraiment s’en préoccuper. Swampil, à l’instar des autres cités d’Orkh-Wrag, était un composite de communautés humaines et orques, lesquelles avaient souvent du mal à cohabiter sans frictions. Le moindre événement, même le plus trivial, pouvait suffire à mettre le feu aux poudres. Que deux ivrognes aient des mots et que l’un finisse par tuer l’autre, et voilà qu’une série de vendetta ensanglantait les rues. Si un problème de ravitaillement venait à se présenter chez l’une des races, l’autre en était inévitablement jugé responsable. Cela sans évoquer les innombrables conflits d’ordre culturel et cultuel.

Les émeutes étaient donc monnaie courante, bien que cela fût la première fois qu’elles prenaient une telle ampleur. Généralement elles se cantonnaient à quelques quartiers, mais cette nuit-là, la fièvre des barricades avait contaminé toute la ville.

L’armée, une fois de plus, allait devoir ramener l’ordre. Après, peut-être, se préoccuperait-elle de trouver la source de cette flambée de violence, soupirait le commandant du fort nord, en pénétrant dans la ville. Il avait, une fois de plus, fait sonné le tocsin en pleine nuit, revêtu son armure, enfourché son cheval, et avant d’abaisser sa visière, donné l’ordre le plus impopulaire, mais le plus nécessaire, qui soit : écraser les insurgés, quelle que fût leur race. Avant l’aube, les rues devraient de nouveau être sous contrôle.

Pas plus que leur supérieur, les soldats n’avaient le coeur léger de quitter les murailles pour accomplir leur triste besogne. ‘Maintenir la paix de peuples’ était leur prime mission, mais trop souvent, comme cette nuit, ils devaient le faire au détriment de ces mêmes peuples. Pour rétablir l’ordre, ils n’avaient d’autre choix que de briser les barricades et mater les émeutiers. Tache simple si on suivait le règlement militaire à la lettre, qui voulait, en prévision de ce cas de figure, que les relations entre troupes et civils soient les plus réduites possibles. Mais pouvait-on vraiment vivre auprès de personnes sans se lier à elles ? Ceux, que leurs épées faucheraient dans les temps à venir, n’étaient pas des étrangers, mais bien des connaissances, dont le principal tort était d’être atteints de cette rage, qu’était le racisme poussé à son paroxysme. Eux-mêmes n’étaient pas exempts de ce mal, mais qui l’était à Orkh-Wrag ? L’armée leur avait appris à passer outre les préjugés, mais sans cela, nombre d’entre eux auraient pu se retrouver du mauvais coté de l’épée. Même les vétérans, pourtant rodés aux émeutes et aux mutations dans d’autres cités, qui les suivaient irrémédiablement, ne pouvaient cacher leur appréhension face à la situation.

Mais tout cela disparut, lorsque, boucliers en avant et lames au clair, ils chargèrent les insurgés, opposant la furie guerrière à la rage. Les derniers sons, qu’ils perçurent avant de sombrer, furent les tocsins des trois autres forts, annonçant que leurs troupes étaient porteuses des mêmes ordres.

Et les premiers, qu’ils entendirent en reprenant conscience, étaient les gémissements des mourants, insurgés et militaires, gisant sur la chaussée.

Dans le ciel, Brah était bien installé, l’aube était passé depuis longtemps. Quiconque regardait autour de lui n’avait pas l’impression que l’astre diurne avait remplacé sa rouge soeur, mais qu’il avait fait fondre Brahsala en un épais liquide visqueux qui s’était répandu sur Swampil. Où que l’on regardât, on ne pouvait échapper à la vision de sang et de cendres.

Le calme était revenu, mais à quel prix ? La ville était pour moitié réduite à l’état de ruine, les cadavres se comptaient déjà par centaines, bientôt rejoints dans la mort par les innombrables mourants et grièvement blessés, maints soldats, une fois soignés, resteraient invalides.

Même le commandant du fort nord ne s’en était pas tiré indemne. Sa monture avait péri dans une embuscade, les jambes brisées et la gorge tranchée. Sa cheville droite, qui s’était retrouvée coincée sous la bête, le faisait claudiquer. Ses bras pendaient le long du buste, l’un, nu, couvert de sévères brûlures, l’autre paralysé par la tête d’une lance traversant de part en part son épaule. Et sa vision était obscurcie par le sang coulant de son arcade, résultat d’un coup ayant brisé son heaume. Mais tout cela n’était que blessures sans gravité, que les médecins aurait tôt fait de faire disparaître. D’ici, quelques jours, il ne resterait que des cicatrices, nouveaux souvenirs gravés dans les chairs qui en portaient déjà tant.

Les plaies, qui le préoccupaient, étaient celles de Swampil. Les rues étaient pacifiées, mais la paix était-elle revenue pour autant ? La dure période de la reconstruction commençait maintenant. Nettoyer le sang des rues, élever de nouveaux bâtiments sur les ruines encore fumantes, empêcher les résurgences de violence, mettre à jour les contingents, honorer les morts et réaffecter les vivants, et comprendre comment cela avait pu arriver afin de pouvoir calmer les esprits.

Cette dernière tache était de loin celle qui l’inquiétait le plus. Trouver l’origine d’une émeute n’était jamais une sinécure, tant il existait de raisons pour de tels embrasements. Cette fois ne dérogerait pas à la règle, même si certains détails lui donnaient la certitude que les événements de la nuit étaient plus qu’une simple insurrection. Sa taille, tout d’abord. Trop de foyers de révolte étaient apparus simultanément pour que cela puisse relever de la simple coïncidence. Pas plus que l’organisation des insurgés. Nombre de barricades s’étaient révélées être des traquenards, où des soldats pourtant expérimentés étaient tombés, sans pouvoir se défendre. Lui-même avait failli succomber dans un de ces pièges. Et il y avait les mages. Eux, réputés pour éviter ce genre d’affrontement, avaient été omniprésents, tout comme d’étranges figures en robes bleu-nuit, que l’on avait retrouvées mêlées à toutes les races.

Cela lui donnait la désagréable impression d’être face à un complot. S’il était dans le vrai, et même s’il avait tort, il devait prendre de toute urgence certaines dispositions.

Aucun commentaire: